N°33 CENT ANS DE SOLITUDE
de Gabriel Garcia Marquez (1967)
Sous prétexte que ce n'est pas moi qui suis numéro 33, et que c'est Cent Ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez (né en 1928), d'aucuns pensent que c'est moi qui suis fou de solitude et confit dans l'aigreur... ce qui est, bien sûr, rigoureusement exact.
Cien anos de soledad a déboulé de Colombie en 1967 tel un tremblement de terre. On peut dire qu'il y a un avant et un après ce livre dans l'histoire littéraire de ce siècle : depuis, on a pris goût aux romans latino-épiques (et pique et colégram), hauts en couleur, aux personnages délirants, aux rebondissements extravagants et tropicaux. Par ailleurs, il est curieux de constater que les grands romans de notre siècle reposent souvent sur une envie de condenser l'univers : une journée d'un alcoolique à Dublin, la vie d'un immeuble parisien, ou ici, cent ans dans un village colombien imaginaire, isolé du reste du monde, nommé Macondo.
Garcia Marquez choisit de nous relater l'histoire de la dynastie des Buendia, de José Arcadio qui a fondé le village jusqu'à son petit-fils à queue de cochon — Marie Darrieussecq n'a rien inventé — en passant par le Colonel Aureliano, dictateur fantoche qui évoque le Général Alcazar dans Tintin chez les Picaros. Macondo connaîtra toute la grandeur et décadence du XXe siècle : au départ c'est un petit bourg sympathique avec ses légendes (par exemple, le curé flotte dans les airs dès qu'il boit du chocolat) ; mais avec l'arrivée de l'ère moderne, la magie devient plus industrielle, ce sont les aimants qui attirent le fer, les longues-vues qui réduisent les distances, les photos qui arrêtent le temps, et toutes ces inventions aussi bizarres que la pierre philosophale des alchimistes : les routes, le travail, l'éducation, l'administration, la télévision, choses, certes utiles, mais qui nous éloignent de nous-mêmes.
Il y aura la guerre, l'arrivée des exploiteurs américains, et tout sera lavé par un déluge de pluie qui durera 4 ans. Cent ans de solitude est une épopée tragi-comique, immense et dérisoire, qui a souvent été comparée à Don Quichotte, mais qui ressemble plus à la Bible, avec sa Genèse, son Exode, son Déluge et son Apocalypse ; oui, voilà une Bible latino, une Bible salsa, une « Buena Vista Social Bible », rédigée dans un style lyrique et ébouriffant. D'ailleurs, je vais vous le prouver tout de suite : écoutez cela.
« Il avait échappé à tout ce que l'humanité avait subi de catastrophes et de fléaux. Il survécut à la pellagre en Perse, au scorbut dans l'archipel de la Sonde, à la lèpre en Alexandrie, au béribéri au Japon, à la peste bubonique à Madagascar, au tremblement de terre de Sicile et au naufrage d'une fourmilière humaine dans le détroit de Magellan. »
Vous le voyez bien, que ça décoiffe. Angelo Rinaldi exagère quand il dit que ce livre aurait dû s'intituler « Cent Ans de Platitude », même s'il est toujours rigolo d'énerver Jean Daniel. Le Sergent Garcia Marquez est toujours vivant, il a eu le Prix Nobel de Littérature en 1982, et beaucoup d'écrivains baroques lui doivent tout : José Saramago, Gunter Grass ou Salman Rushdie, les deux premiers nobélisés, le dernier nobélisable. Moralité : écrivez des romans amples et touffus, vous aurez plus de chances d'avoir le Nobel qu'en paraphrasant Marguerite Duras.